Samedi 13 avril, à Royan, cette Iranienne de 24 ans sera la première ressortissante de son pays à disputer un match de boxe officiel. Avec l’aide de Mahyar Monshipour Kermani, CTN au sein de la FFBoxe et référent citoyenneté, elle a remporté la plus précieuse des victoires, celle pour l’égalité des sexes.

La vie est souvent affaire de hasard et de destin que l’on force. Cela a beau être un lieu commun de l’énoncer, l’histoire de Sadaf Khadem en est l’heureuse illustration. Tout a commencé en mai 2017 lorsque Mahyar Monshipour Kermani, natif de Téhéran, faut-il le rappeler, s’est rendu en Iran à l’invitation de l’un de ses amis, David Frossard, désireux d’y lancer un parfum baptisé The Orchid Man, en référence à l’illustre Georges Carpentier. L’intéressé fit les choses en grand et loua, pour ce faire, une salle de fitness de luxe où devait avoir lieu l’événement promotionnel. Le bouche à oreille ignorant les frontières à l’heure des réseaux sociaux, la présence de l’ancien champion du monde WBA des super-coqs attira, sur place, une quarantaine de pugilistes, dont une poignée de femmes. Tous se firent refouler à l’entrée car, là comme ailleurs, on ne prête qu’aux riches. Dans une société où la classe sociale de chacun décide souvent de son avenir et de ses droits, ces anonymes ne furent donc pas admis à la fête. Qu’à cela ne tienne, Mahyar Monshipour Kermani leur promit de leur dispenser, le lendemain, un entraînement collectif en plein air, sur les hauteurs de la capitale de la République Islamique. Une séance mixte, ce qui, en soit, était déjà un exploit.
Un entraînement à l’abri des regards indiscrets et censeurs
Parmi ses élèves d’un jour, Sadaf Khadem qui, loin de se démonter, le sollicita pour la faire boxer. La chose peut paraître anodine. Elle ne l’est nullement dans un pays où le noble art a longtemps été interdit par les édiles avant d’être de nouveau autorisé depuis quelques années mais uniquement dans son versant amateur et, surtout, masculin. En effet, hors de question, pour les dignitaires locaux, que des hommes montent dans le carré magique torse nu et que ces demoiselles en fassent autant… même vêtues de pied en cap. La pudeur qui sied aux uns et l’émancipation déniée aux autres sont en effet des règles intangibles que l’on ne peut enfreindre.
Résultat, les quelques téméraires qui entendent braver l’interdit qui pèse sur elles sont tout bonnement exploitées par des pseudos matchmakers qui, moyennant des sommes astronomiques atteignant parfois jusqu’à un an de salaire, consentent à leur faire faire de simples mises de gants en ouverture de galas qui se tiennent à l’étranger, notamment en Turquie. Là, pas de public ni de de juges au pied du ring ni de verdict en bonne et due forme ni, bien sûr, d’assurance et de prise en charge en cas de blessure. Et, pour ce qui est de l’entraînement au quotidien, celui-ci a lieu en catimini, dans des salles de fitness ou des appartements, avec des installations de fortune, à l’abri des regards indiscrets et censeurs.
« Sadaf est à la fois une héroïne et un exemple »
Ému et touché par la volonté de sa compatriote, encline à braver les interdits, Mahyar Monshipour sollicita, dans un premiers temps, la Fédération iranienne de boxe pour faire une demande officielle. En l’occurrence, qu’elle accepte de laisser Sadaf Khadem effectuer un vrai combat à l’étranger. Mais le ministère des Sports se saisit du dossier et opposa son veto. Dommage car l’occasion était belle de redorer son blason à l’heure où le Comité international olympique (CIO) venait d’imposer la mixité de toutes les disciplines au programme des Jeux. Qu’importe. Sadaf Khadem ayant de la suite dans les idées et du courage à revendre, celui qui est Conseiller technique national (CTN) au sein de la FFBoxe sollicita Franck Weus, le Président du Royan Océan Club Boxe, lequel accepta spontanément de mettre l’intéressée à l’affiche et de prendre en charge les frais inhérents à sa venue dans l’Hexagone. La machine était lancée. Consciente de l’enjeu et de la noblesse de la cause à défendre, les autorités françaises firent le reste. Au diable les pesanteurs administratives : la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, mit tout son poids dans la balance pour que la pugiliste iranienne obtienne un visa. De même, habilita-t-elle la FFBoxe à lui délivrer une licence temporaire, valable jusqu’au 31 août, alors que sa bénéficiaire n’est-elle pas titulaire d’une carte de séjour.
Avant même d’en découdre avec Anne Chauvin, ce samedi, celle qui est dans le civil professeur de fitness pour femmes, à Téhéran, a déjà gagné son combat. Elle sera à tout jamais celle qui a montré la voie en étant la première dame de son pays à combattre gants aux poings au vu et au su de tous, dans les règles édictées par feu le Marquis de Queensberry. « Elle a ouvert une brèche, insiste Mahyar Monshipour Kermani. Nous voulons montrer aux Iraniens qu’il n’y a rien de grave à voir une athlète boxer. D’autant que l’AIBA vient d’autoriser le port de tenues intégrales pour les sportives. Sadaf est à la fois une héroïne et un exemple pour les jeunes filles de son pays. J’espère que la situation de ces boxeuses va se normaliser et qu’elle pourra participer aux tournois de qualification pour les Jeux de Paris 2024. Quoi qu’il arrive, je ne la laisserai pas tomber. »
Par Alexandre Terrini
Mis en ligne par Olivier Monserrat-Robert