et le mystère de la potion magique
Sur le papier c'est la confrontation idéale : celle qui met aux prises le boxeur avec le puncheur ; le gentleman avec le sauvage. Deux cogneurs aux personnalités différentes capables d'élever un simple combat de boxe en quelque chose de grandiose. C'est l'une des nombreuses raisons qui poussent les 23,800 spectateurs à envahir le Miami's Orange Bowl de Miami (Floride) ce 12 novembre 1982 pour assister au duel entre Aaron Pryor et Alexis Argüello. Ce soir-là, l'Américain, surnommé le Faucon, stoppe le Nicaraguayen, qui répond au doux surnom de Maigre Explosif, au quatorzième et avant-dernier round (il le mettra K.-O. au dixième lors de la revanche), comme pour mieux lui indiquer la porte de sortie… L'imperméable défense du boxeur de Managua prend l'eau de tous bords devant l'activité incessante de l'orgueil de Cincinnati, considéré comme une machine à frapper !

Le sieur, Aaron Pryor, prend sa première tétée le 20 octobre 1955 au matin, à Cincinnati (Ohio). Il débute le noble art à l'âge de 13 ans. Véritable terreur chez les amateurs, il remporte 204 victoires, dont 100 avant la limite, contre 16 défaites. Champion des États-Unis amateurs en 1973 chez les légers, vainqueur du tournoi des Gants d'Or en 1975 et 1976, des Jeux Panaméricains à Mexico en 1975, Pryor est sélectionné pour l'olympiade montréalaise comme remplaçant seulement, au profit d'Howard Davis Jr (qui remportera le titre olympique à Montréal). Quelques mois après cette déconvenue, il embrasse sa carrière chez les professionnels le 12 novembre 1976 à Cincinnati, devant Larry Smith (victoire par arrêt au deuxième round). Rapidement son nom apparaît aux sommets des classements mondiaux chez les légers, puis en super-légers, après des victoires devant des hommes de la trempe de Johnny Summerhays, Johnny Copeland, Norman Goins et Alfonso Frazier. Après quatre années dans cette classe et 24 victoires (dont 22 avant la limite), Pryor affronte le champion des super-légers WBA, le Colombien Antonio "Kid Pambelé" Cervantes, le 2 août 1980 au Riverfront Coliseum, à Cincinnati. Le challengeur va à terre dans le premier round, mais détruit ensuite Cervantes en quatre rounds. Après cinq défenses victorieuses, Aaron Pryor met en jeu son titre contre Alexis Arguello, le 12 novembre 1982. Dans une magnifique rencontre, élu plus tard "Combat de la Décennie" par Ring Magazine. Pryor chez les pros : Du 12 novembre 1976 au 4 décembre 1990. Champion des super-légers WBA du 2 août 1980 au 9 septembre 1983, puis roi IBF de la division du 22 juin 1984 au 1er décembre 1985. 40 Combats pros : 39 victoires, dont 35 avant la limite et une défaite avant la limite. 11 championnats du monde : 11 victoires, dont 9 avant la limite. S'il n'était pas déjà pris, "Alexis plein de grâce" serait le titre idéal pour une biographie sur Alexis Argüello. Un gentleman au vrai sens du terme. Le champion nicaraguayen peut en effet assommer un adversaire avec ses terribles crochets du gauches, ou bien à l'aide de sa méchante droite en ligne et remercier ensuite le malheureux de ses efforts ! Après avoir démoli Ray Mancini, le 3 octobre 1981, il salut chaleureusement son rival pour la relation qu'il entretient avec son père. Le Nicaraguayen voit le jour le 19 avril 1952 à Managua. Amateur, il remporte 58 victoires, dont 48 avant la limite, contre 2 défaites. Il débute chez les professionnels le 1er août 1968 et assomme son compatriote Cachorro Amaya avant la fin des trois premières minutes. Mais pour Argüello, réussir à décrocher une première opportunité mondiale est affaire de patience. Il doit en effet boxer pendant six ans avant de se retrouver… et de s'incliner aux points face au Panaméen Ernesto Marcel, tenant du titre des plume WBA, le 16 février 1974 à Panama City. Mais le 23 novembre suivant, c'est le sacre. Au Forum d'Inglewood, en Californie, le Nicaraguayen défit l'affamé mexicain Ruben Olivares, nouveau détenteur du sceptre WBA des poids plume. Après treize rounds fratricides, le Maigre Explosif assomme avec une droite à la face le pugiliste aztèque. Quatre mois plus tard, Ring Magazine élit cette confrontation "Combat de l'Année 1974". Alexis Argüello risque à quatre reprises son titre avant de l'abandonner pour des problèmes de poids en 1976. L'année suivante il dispute sept matches chez les super-plume et devient challengeur officiel du champion de la division WBC, le Portoricain Alfredo Escalera, qu'il bat deux fois avant la limite par la suite. Le 20 juin 1981 à Londres (Royaume-Uni) Argüello détrône de sa couronne des poids légers du Conseil mondial de la boxe l'Anglais Jim Watt, aux points. Après avoir conquis trois titres mondiaux dans autant de catégories différentes (plume, super-plume et légers) le Centroaméricain opte comme tous les grandes figures pugilistiques pour en gagner un quatrième, synonyme de consécration totale. Après quatre défenses victorieuses de son sceptre des poids légers WBC, Alexis Argüello n'a qu'une idée en tête : défier le Faucon pour le titre des super-légers WBA.

Argüello chez les pros : Du 1er août 1968 au 21 janvier 1995. Champion des poids plume WBA du 23 novembre 1974 à 1977, puis monarque des super-plume WBC du 28 janvier 1978 au 27 avril 1980. Tenant du titre des légers WBC du 20 juin 1981 au 22 mai 1982. 90 Combats pros : 82 Victoires, dont 65 avant la limite, 8 défaites. 22 championnats du monde : 19 victoires, 3 revers. La confrontation à pour cadre la cité floridienne de Miami. Pendant toute la promotion de l'événement l'entourage du tenant du titre a chanté à tue-tête le même refrain : "Quelle heure est-il ? L'heure du faucon !" Les bourses sont conséquentes : Arguello empoche un million et demi de dollars, Pryor cent mille billets verts de plus. Ils entrent de fait dans le groupe très fermé des stars non poids lourds payés plus d'un millions de dollars le match. Les autres grands boxeurs logés à la même enseigne sont : Sugar Ray Leonard, Marvin Hagler, Thomas Hearns, Wilfredo Benitez et Roberto Duran. Le charismatique pugiliste nicaraguayen, qui n'a rien à perdre, mais au contraire tout à gagner, est le chouchou des fans. Peut de fois la sorcellerie a été associé à la boxe, mais cette fois, Carlos Panama Lewis, entraîneur du champion Aaron Pryor, se construit lui-même une réputation de sorcier en clamant clairement qu'il emploi sans modération une "eau de morts !" Une potion magique mélangée à une substance censée fortifier son protégé. Où se la procure-t-il ? ça reste encore une énigme. Cette boisson mystère a fait couler de l'encre… mais la vérité et que ces commentaires ont beaucoup servi à la promotion championnat qui est diffusé par le biais du Pay-per-view (payer pour voir). Le soir du choc, l'enceinte de l'Orange Bowl est totalement colmaté par des nuées de spectateurs. Les spécialisent pronostiquent une victoire de n'importe lequel des deux opposants, deux puncheurs reconnus, avant la limite. Plus rapide, le champion prend position au centre du ring et frappe avec précision le challengeur à la face, qui répond une fois sur trois. C'est pourtant ce dernier qui touche avec une belle droite. La reprise est splendide et nombreux sont les coups échangés : 238 au total ! Le premier épisode se termine à l'avantage du monarque. Dès l'entame du suivant, l'arbitre Stanley Christodoulou se voit obliger de renvoyer les deux gladiateurs dans leur coin respectif. Trop pressés ils veulent reprendre les hostilités avant son commandement "boxe". Dans l'angle d'Alexis Argüello travaille l'expérimenté coach aujourd'hui décédé Eddie Futch, accompagné de Don Kahm, tandis que dans celui du champion œuvre Carlos Panama Lewis. Dans le second round le courage des deux athlètes croit. Le Nicaraguayen est plus actif et frappe plus fort, mais beaucoup de ses coups ne trouvent par la cible. La faute à un champion trop mobile. Le Faucon présente son style de mouvements latéraux et boxe en directs des deux bras. Argüello, lui, est bien plus efficace quand il combat de face car il n'a jamais vraiment appris a bien se déplacer sur les ring. Round à l'avantage de Aaron Pryor. Après cette deuxième reprise, la bataille se transforme en une authentique fête de gants. Les deux hommes tentent tour à tour de dominer la rencontre, de toute beauté, mais la vitesse du champion, qui n'arrête pas de toucher au visage un challengeur qui n'a visiblement pas appris à se servir avec suffisamment de vice avec sa tête, fait une différence. Le Centroaméricain, la garde trop basse, passe un mauvais moment dans le cinquième round. L'États-Unien, véritable mitraillette à envoyer les coups, coupe l'arcade gauche d'Alexis Argüello à la fin de l'épisode suivant. Dans la neuvième reprise le duel continue de capter l'attention des aficionados. L'orgueil sportif des deux duettistes est en jeu et, au terme des trois minutes, Prior encaisse un direct en pleine tête, spécialité du Maigre Explosif. Pendant une fraction de secondes, le monarque vacille. Il reste planté au centre du quadrilatère et ne s'est plus où aller ! Panama Lewis est obligé de venir chercher son boxeur pour le ramener dare-dare dans le coin. Il essais alors de rafraichir son protégé, K.-O. debout… ou plutôt assis, le cul posé sur un tabouret. Pour la première fois du combat Lewis fait usage de la potion magique mystère. "Donnez-moi la bouteille spéciale", demande-il à son partenaire de coin, sans pour l'instant capter l'attention.

Le résultat de la bouteille au contenu magique se reflète immédiatement sur le tenant du titre des poids super-légers WBA, qui répond à l'appel de onzième round avec tant de fraicheur et de vigueur… comme s'il s'agissait de son entame. Le Faucon s'élance avec rapidité et balance des coups puissants et précis. Alexis encaisse la salve et répond avec ses fameux coups de fusil qui font habituellement vibrer la concurrence. Alexis Argüello, qui pense que la fin est proche en voyant l'idole de Cincinnati trembler, encaisse à son tour des directs au visage. Don Kahn, le coach du prétendant, l'harangue : "Termine le ! Fini le ! Béni le !" Au moment où les deux hommes débutent le treizième épisode du match l'épuisement se reflète d'avantage sur le visage d'Alexis Argüello… mais à la fin de la reprise il touche avec une énième droite Pryor. Le champion du monde, piqué au vif, est récupéré par son second au centre du carré de vérité. Pendant la minute de repos la voix pointue et criarde de Carlos Panama Lewis résonne à nouveau : "Passez-moi la bouteille du mélange spécial… celle-là non, l'autre !" Cette fois-ci, le coach du boxeur de Cincinnati capte l'attention des deux commentateurs de HBO qui précisent à l'antenne que l'eau claire est l'unique liquide toléré ! Lors du quatorzième round, l'empressement est du coté du tenant du titre. L'Américain déclenche une violemment attaque. Quinze coups puissants atteignent le vaillant challengeur au visage. Incapable de répondre le Nicaraguayen est arrêté par le troisième homme… qui le sauve d'un châtiment barbare. L'heure du Faucon vient de sonner. Mais ce qui aurait dû être un grand moment pour le champion du monde des super-légers WBA est entaché d'une petite controverse. Que contient la mystérieuse bouteille noire ? S'agit-il de produits dopants ? D'après un proche du champion du monde, ce n'est que du schnaps poivré ! Bill Miller, l'agent d'Alexis Argüello, n'est pas d'accord et dépose une réclamation auprès de la World boxing association. Sept mois plus tard, Carlos Panama Lewis est arrêté pour avoir trafiquer les gants de Luis Resto avant son duel avec Billy Collins, au mois de juin 1983 au Madison Square Garden de New York. Le revanche prend toute son importance car une petite partie du public croit que le mélange spécial de Lewis a favorisé Aaron Pryor. Même s'il n'y avait pas eu de controverse, un deuxième combat est inévitable. Lorsque Pryor et Argüello se retrouvent, le 9 septembre 1983 à Las Vegas (Nevada), il n'y a pas de bouteille noire. Cette fois-ci, Pryor, plus agressif et d'une précision redoutable, assoit sa domination plus tôt et s'impose par K.-O. dans le dixième round. La confrontation terminée les deux hommes s'enlacent chaleureusement. Alexis Argüello, qui accepte sa défaite avec noblesse, se tourne vers son vainqueur pour lui traduite son respect. : "Tu ne connais pas toutes tes qualités pugilistiques… mais elles sont énormes. Tu ne le sais peut-être pas on plus… mais tu es un très bon boxeur". Henry Armstrong et Tony Canzoneri sont les seuls champions du monde des poids plume a s'être emparé directement de la couronne des légers. Alexis Argüello, Hector Camacho, Julio César Chavez, Oscar de la Hoya et Floyd Mayweather Jr., sont les monarques des super-plume qui ont obtenu le titre les légers. Les deux hommes ont été intronisé au World Boxing Hall of Fame et à l'International Boxing Hall of Fame. Après des problèmes avec la drogue Pryor décida d'ouvrit une salle de boxe à Cincinnati, où il aida les enfants à apprendre la boxe et à s'éloigner de la rue. Il est également devenu pasteur. En décembre 1999, Associated Press a élu Aaron Pryor comme "meilleur super-léger de tous les temps". Quant au regretté Alexis Argüello, il est mort le 1ᵉʳ juillet 2009 à Managua.
Par Olivier Monserrat-Robert