Le 28 octobre, à Cardiff, le Franco-Camerounais (35 v, 1 n, 4 d) a été prématurément stoppé par l’arbitre à la dixième reprise de son championnat du monde WBA et IBF des lourds devant l’Anglais Anthony Joshua (20 v) qui, certes, menait très largement aux points mais n’était pas pleinement à son aise, loin de là.

Les caractéristiques morphologiques des deux protagonistes auguraient, croyait-on, de la donne du combat. Plus petit (1,87 mètre contre 1,98 mètre), plus léger (106 kg contre 115 kg) et doté d’une allonge inférieure (2,00 mètres contre 2,08 mètres) : on pensait que le challenger n’avait d’autre alternative que de casser en permanence la distance et de charger sans cesse comme un taureau pour ébranler le champion en le collant autant que faire ce peu.
Erreur. Le cinquième Français à briguer un titre planétaire des poids lourds débuta les hostilités à… distance, en boxant sur les jambes et en désaxant systématiquement avec son buste. L’objectif était clair : forcer le tenant à déclencher de trop loin pour que ses coups arrivent en bout de course et, mieux, n’atteignent pas leur cible tant l’Anglais peinait à cadrer son rival.
Anthony Joshua en quête de solution
Et c’est ce qui globalement se produisit dans les premières minutes quand bien même le sujet de sa Grâcieuse Majesté donnait-il à satiété son bras avant et occupait-il le centre du ring. Carlos Takam ne se laissait pas démonter et se mit à attaquer. Sur l’une de ses offensives, sa tête heurta bien involontairement le visage d’Anthony Joshua qui en fut quitte pour… un nez cassé. Piqué au vif, ce dernier, qui comprit vite que l’affaire ne serait pas simple à mesure qu’il s’enfonçait dans la nuit galloise, répliqua comme il sait le faire : avec ses crochets gauches dévastateurs et ses droites plongeantes. Sachant à quoi s’attendre, le visiteur bloquait tant bien que mal. Et lorsqu’il était touché, il encaissait, parfois en pliant mais jamais en rompant.

Il n’avait pas d’autre solution : créer la surprise impliquait qu’il prenne des risques… les plus calculés possibles, en somme, qu’il réussisse à se rapprocher de la montagne anglaise sans s’exposer à une avalanche. Dans la quatrième reprise, on redouta, l’espace de quelques instants, qu’il allait échouer dans ce numéro d’équilibriste quand un magistral uppercut lui ouvrit l’arcade sourcilière droite avant qu’une gauche ne l’envoie sur son céans et le contraigne à être compté.
Mais comme toujours contre des hommes de valeur, l’élève de Joseph Germain était grand et à la hauteur du défi. Il se relevait donc et se montrait le plus vigilant possible défensivement, montant les mains et effectuant les pas de retrait que les circonstances lui imposaient pour s’épargner les missiles adverses. Mieux, il alla littéralement à la guerre, ses enchaînements de deux coups à la face firent souvent mouche et s’ils n’ébranlèrent nullement le local, ils le dissuadèrent de se comporter en terrain conquis et de partir à l’abordage la fleur en fusil. On eut d’ailleurs le sentiment jubilatoire que le Britannique, à l’évidence pas dans un grand soir, était en quête de solution, hésitant sur la conduite à tenir. Heureusement pour lui, la puissance était de son côté. Alliée à une plus grande activité, elle lui permettait de remporter quasiment tous les rounds même si, à chaque fois, son contradicteur vendait plus que chèrement de peau avec des séries téméraires. Le sang qui lui coulait dans les yeux, son arcade gauche ayant, elle aussi, été malmenée, n’entamait en rien son entrain qui, progressivement, conquit les 78 000 spectateurs du Principality Stadium de Cardiff.
Soudain, l’arbitre gâcha tout
Bien sûr, il y eut des moments pénibles quand les enclumes d’Anthony Joshua lui martelaient, pêle-mêle, les pommettes, les tempes et les flancs. Mais on eut dit que le Noiséen d’adoption était littéralement « indescendable ». D’une résistance incroyable, d’un courage exemplaire et d’une admirable vaillance à toute épreuve, il s’offrait le luxe d’adopter par intermittence une garde à la Floyd Mayweather. Dans la septième, il força l’Anglais à enclencher la marche arrière. Surtout, quand il prenait à l’initiative, Carlos Takam avait l’intelligence de ne pas accepter durablement la bagarre et, au contraire, de prendre ensuite immédiatement la tangente pour ne point se faire contrer comme à la parade, ce que recherchait par-dessus tout l’enfant de Watford.

Dans ces conditions, le Tricolore était bien parti pour réaliser un formidable exploit et tenir la limite après seulement deux petites semaines de préparation et six jours de sparring. Et puis soudain, l’arbitre gâcha tout en le stoppant inexplicablement alors qu’il venait d’encaisser de plein fouet deux droites mais qu’il parait sans faiblir les suivantes. Terrible frustration alors qu’il était en train de prouver à la face du monde qu’il n’était nullement le faire valoir que les mauvais esprits se plaisaient à railler plus ou moins ouvertement.
Son entraîneur Joseph Germain avait bien eu raison de ne pas refuser une telle opportunité. Une chose est sûre : son protégé est désormais une valeur reconnue dans la catégorie reine. Il s’est empressé de demander une revanche à son vainqueur, l’un et l’autre ayant fait montre d’un fair-play réciproque et remarquable depuis la pesée. Pas sûr, néanmoins, qu’Anthony Joshua accepte d’accorder une seconde chance au Francilien qui aurait alors tout le temps de fourbir ses armes. Un duel au sommet contre l’Américain Deontay Wilder, détenteur de la ceinture WBC, serait en effet pour lui bien plus prestigieux et lucratif. Boxing is business.
Par Alexandre Terrini
Mise en ligne par Olivier Monserrat-Robert