Ils sont jeunes, ambitieux et ont fait de la boxe leur métier. Loin des strass et des paillettes, ils représentent, chacun dans leur catégorie, le renouveau de la boxe tricolore. Sans langue de bois ni retenue, ils ont décidé de revenir sur leur parcours et de nous livrer leur point de vue sur la scène nationale, leurs défis à venir, mais aussi sur la précarité de leur statut.
Le 26 septembre prochain, Johann Duhaupas (34 ans, 34 combats : 32 victoires dont 20 KO, 2 défaites) sera dans le ring de Birmingham, Alabama pour affronter Deontay Wilder, le nouveau Mike Tyson. En jeu, le titre WBC des poids lourds, le seul de la catégorie qui ne soit pas la propriété de Wladimir Klitschko. Un défi immense pour un boxeur qui a su saisir sa chance après une victoire marquante en avril dernier face à l’Allemand Manuel Charr à Moscou (décision majoritaire : 98-93 x 2, 95-95) : « j’ai accepté Charr contre le gré de mon équipe, explique-t-il. Je venais de subir une défaite plutôt injuste en Allemagne, contre Erkan Teper au mois de mars. Pour revenir, ça allait être compliqué. J’ai eu cette opportunité alors je l’ai prise et j’ai bien fait. Ce jour-là, je ne ressentais pas de peur. J’ai vu dès la première reprise que je pouvais gagner ce combat ». Pour donner une idée du tour de force réalisé par « le Reptile », Charr était entraîné par un certain Lennox Lewis, dernier détenteur des 4 ceintures poids lourds. Une performance qu’a souligné Malik Scott, battu par Deontay Wilder en… un seul coup, en mars 2014 : « j’étais en camp d’entraînement avec ce mec à Moscou pendant environ 4 semaines. C’est un dur. Il est grand (1.95m), rapide, il a une bonne frappe et a battu Charr en étant prévenu quelques jours avant. Il vient pour combattre, il est très solide mentalement. Le plus dangereux chez lui, c’est qu’il pense pouvoir gagner. Wilder devra être prudent avec lui parce que s’il le prend à la légère, il pourrait bien se passer quelque chose ». Après la performance moyenne de la « next big thing » contre Eric Molina en juin (KO9), l’avertissement n’est pas vain et témoigne que Duhaupas inspire le respect à ses pairs.
La suite relève presque du conte de fée. Son manager Medhi Ameur est contacté pour organiser un combat contre Deontay Wilder, à domicile, en Alabama. Affronter « The Bronze Bomber », 33 KO en 34 combats toujours victorieux, cela ne se refuse pas, même si d’après les mots de son entraîneur Daniel Lorcy (père de Julien « Bobo » Lorcy, ancien champion du monde chez les légers, ndlr), Wilder est un « serial killer pugilistique ». Difficulté supplémentaire, le temps est compté : « ma préparation est courte. Je l’ai commencée dans les montagnes puis j’ai enchaîné chez moi, en Picardie, avec quelques sparrings ». Coïncidence : Fury se prépare lui aussi pour un championnat du monde des lourds en octobre prochain, contre le cadet des Klitschko. Le Britannique est un puncheur et ses conseils ne seront pas inutiles au moment de défier la nouvelle terreur des rings : « Wilder frappe, c’est une évidence. A moi de canaliser sa fougue et de lui montrer le danger aussi ». Duhaupas le sait, il n’est pas favori face à l’Américain. Mais ce n’est pas une raison pour laisser passer sa chance : « c’est mon premier championnat du monde. Peu importe où il se dispute. Être face à un puncheur comme Wilder ne changera rien : l’enjeu est de taille et la pression est énorme ».
Champion de France en 2013 aux dépens Fabrice Aurieng et double champion de l’Union Européenne en 2013 et 2014, Duhaupas n’a jamais hésité à se mettre en danger, à boxer à l’étranger devant un public hostile. Algérie, Luxembourg, Suisse, Maroc, Japon, Allemagne et Russie, le Reptile a pris des risques et à 34 ans, le voilà récompensé de la plus belle des manières : « j’ai su que je voulais devenir boxeur dès l’âge de 5 ans, en regardant Rocky, mais je n’ai pu commencer qu’à 19 ans, détaille-t-il. Mon parcours n’a jamais été simple. J’ai eu mon lot de problèmes avant d’en arriver là mais je ne suis pas du genre à abandonner. C’est difficile de trouver des sparrings chez les lourds, surtout pour un provincial sans budget. Donc il a fallu faire des kilomètres pour trouver des partenaires et progresser, tout en travaillant à côté ». A l’image de nombreux pugilistes français, la boxe est une bataille dans et hors du ring pour Duhaupas. Forcément, la découverte du barnum made in USA accentue ce fossé déjà perceptible de l’autre côté de l’Atlantique : « la France ne sait pas mettre ses boxeurs en avant, raconte celui qui est passé chez les rémunérés en 2004. Il n’y a pas de télé, pas de vedette. On s’intéresse à toi quand tu arrives au championnat du monde. C’est dommage car avec des moyens égaux à Wilder ou d’autres, je serais un grand champion depuis quelques années. Je n’ai pas de grand sponsor. Mon employeur m’a aidé pour en arriver là mais désormais je dois m’investir à 100% pour mes dernières années et ne faire que ça ».
Après Georges Carpentier en 1921 contre Jack Dempsey, Lucien Rodriguez en 1983 contre Larry Holmes et Jean-Marc Mormeck en 2012 contre Wladimir Klitschko, Johann Duhaupas fait partie du cercle très fermé des Français qui ont eu une chance mondiale chez les lourds. Jusqu’à présent, aucun de ses trois prestigieux aînés n’a réussi à ramener la ceinture au pays. Une victoire contre Deontay Wilder serait un exploit retentissant : « si je prends le titre, je serai le premier de l’histoire. Si avec ça, je peux relancer la boxe en France, je le ferai. Mais rappelons que la boxe fonctionne très bien en France, c’est la médiatisation qui a lâché, c’est dommage ». Un triomphe chez l’oncle Sam serait un sacré coup de projecteur pour lui mais aussi pour toute une discipline qui suscite toujours autant l’admiration.
Par : François Miguel Boudet
Source : Outsider Mag