Il y a 30 ans, lors d'un combat dont beaucoup pensaient qu'il serait son dernier, Sugar Ray Leonard vécut un des meilleurs moments de sa carrière devant Marvelous Marvin Hagler.
Hagler vs. Leonard, 30 ans déjà !
Le 9 novembre 1982, Sugar Ray Leonard, 26 ans, annonce, au monde et à sa Juanita, qu’il raccroche les gants. Le chirurgien lui a pourtant donné son feu vert pour poursuivre sa carrière. Il devient un homme d’affaires averti pour le compte d’un industriel d’articles de sport, Franklin, tourne des spots publicitaires pour la boisson 7-Up avec Little Ray, le fils, assure la fonction de consultant pour les chaines américaines HBO et CBS. L’année de son retrait des quadrilatères, il est le plus gros contribuable du Maryland. « Chaque jour qui passe m’éloigne de la boxe », affirme-t-il. Bob Arum, son promoteur, lui fait un pont d’or (20 millions de billets verts) pour un retour qui n’a pas de sens à cette époque-là. « C’est non. Marvin Hagler, c’est le rocher de Gibraltar. Il est indestructible ». Un an après avoir secoué le monde du boxing-business avec l’annonce de Baltimore, Leonard dispute une exhibition sur une base militaire du Maryland, devant un parterre de bidasses. Il aime entretenir une certaine ambigüité. « Je ne reviens pas. Je suis revenu ».
Le 11 mai 1984, Ray Leonard remonte sur un ring à Worcester, contre son compatriote de Philadelphie Kevin Howard. Malgré une victoire par arrêt de l’arbitre à la neuvième reprise, Sugar est d’une étonnante médiocrité. Il est mis au tapis lors de la quatrième reprise par un rival qui est tout sauf un foudre de guerre. « No mas ». Il s’offre un manoir d’un million de dollars à Potomac, près de Washington, deux piscines, une salle de cinéma privée, une Ferrari Testarossa, une Rolls-Royce et une BMW dans son garage. Sa fortune se monte à 45 millions de dollars. Deux ans plus tard, le promoteur américain Bob Arum annonce la signature du choc que plus personne n’espère, Hagler vs. Hearns ! « La passion m’avais quitté. Mais le feu a repris en moi. » Ray a passé quatre heure dans le cabinet d’Edwin Homanski, médecin de la terrible Commission de boxe du Nevada : "Si vous aviez une chance sur mille d’abîmer votre œil, je ne vous laisserais pas faire. C’est O.K., Ray, vous pouvez disputer ce combat…"
Le 6 avril 1987, devant les 15 336 spectateurs du Caesars Palace, des privilégiés qui ont payé de 100 à 700 dollars le siège, le merveilleux Sugar défie l’ogre Marvelous. Ce soir-là, l’indéboulonnable champion (depuis sept ans) des poids moyens WBC coaché par Pat et Goody Petronelli fait exploser le jackpot dans la capitale mondiale du jeu et de la boxe, Las Vegas. Il empoche la somme fabuleuse de 37 millions de dollars. 12 millions en cash garantis, plus 25 millions sur les recettes du closed-circuit. Quatre fois la somme que Don King a lâché à Ali pour un come-back devant son compatriote Holmes sept ans plus tôt. Près de neuf cent quinze mille euro pour chaque minute passée sur le ring. Et quelles minutes… Entraîné par Angelo Dundee, lui aussi auteur d'un retour depuis la Floride ou il coule des jours paisibles, le beau « Leo », en peignoir blanc, a besoins de quatre-vingt-dix secondes pour parcourir les quatre-vingt dix mètre de son vestiaire au ring, sur les rythmes de Victory, le succès des Kool and the Gang. Tel le grand Muhammad Ali, il accomplit un tour d’honneur à l’intérieur des cordes, pas chassés, poing gauche levé.
Voilà plus de quatre ans que l’Amérique attend ça ! Ray Sugar is back, à titré le New York Times en gros caractères. « Pour cet unique combat, dit-il. Je veux Hagler. Lui seul peut motiver mon retour ». Avec son faciès de tueur caché sous la capuche de son célèbre peignoir bleu ciel, Marvin Marvelous Hagler parait presque transparent. En effet, la foule, déjà en délire, n’a d’yeux que pour son beau gosse chéri, l’enfant gâté de l’Amérique. Comme les 15 000 New-Yorkais assis devant l’énorme écran du Madison Square Garden, à 33 dollars le billet. La mythique salle de Big Apple, une des quatre mille où est retransmis le choc en direct. D’autres chiffres ? La chaine HBO a payé 3,1 millions de dollars pour arracher l’exclusivité d’un combat qu’elle ne peut diffuser que dans huit jours ; le Caesars Palace, fleuron aujourd’hui un peu rococo de la cité aux mille feux, a déboursé 7 millions de dollars pour abriter Hagler vs. Leonard ; la recette aux guichets, 7 867 100 dollars dépasse de plus de 1,5 million celle de Holmes vs. Cooney cinq ans plus tôt ; le chiffre d’affaire global atteint les 100 millions de billets verts. Un chiffre à donner le vertige !
Bob Arum, l’avocat juif d’origine libanaise, boss de Top Rank, a fait ce qu’aucun organisateur n’a réalisé avant lui. Gagner avec des poids moyens autant, et même plus d’argent qu’avec des boxeurs de la catégorie reine. Aux prestigieux fauteuils de ring, au milieu de Jack Nicholson, Stallone et Ali, Don King se cache. Pas facile pour lui. Marvin Hagler a toujours refusé de traiter avec lui. À l’énoncé des pointages, King va bondir sur le ring pour embrasser Leonard. Arum va l’en empêcher. « Une arme est tombée du revers de sa veste », dira ce dernier. Pendant l’hymne américain, chanté par les Pointer Sisters, le vent emporte la bannière étoilée faite de milliers d’ampoules sur le toit du Caesars. Un orage noir se fait menaçant au-dessus de Las Vegas. Le moment est magique ! Hagler avance, comme prévu. Leonard tourne, danse, papillonne autour du tenant du titre. Soudain, le champion s’adresse à Sugar. Des avant-bras, il invite à s’approcher et dit : « Fight me. Come on… » Il lui demande de se battre. Mais c’est exactement ce que Sugar a décidé d’éviter…
Le vieil Angelo aussi. Ray Leonard, aérien, recule et se cale dans les cordes, esquive et remise, repart de l’avant. Dans la quatrième reprise, il ose défier Marvin Hagler. Marvelous sourit. Il a tort. Un type hurle « Sugar ! Sugar ! » Au fil des rounds, c’est un Marvin Hagler lent et emprunté qui semble pourtant faire la meilleure impression visuelle. Sans être exceptionnel, il n’est jamais mis dans le rouge (mis à part en fin de neuvième reprise) et marque des points. Leonard est éprouvé dans le cinquième round, gagne de temps au début de la suivante, et perturbe un peu le champion, avec une réplique vive comme l’éclair, au neuvième round. Le coup de gong final retentit. Les deux hommes s’étreignent avant le verdict des juges. Michael Buffer, le speaker, planté au milieu du ring en costar, annonce la décision. « Split decision », dit-il, décision partagée. Luis Fillipo, le premier officiel, fait toujours d’Hagler le champion pour deux points (115-113).
Un murmure traverse les travées lorsque résonne le pointage de Juan José Guerra, qui voit Leonard vaincre avec huit points d’avances (110-118). Le troisième et dernier juge, Dave Moretti, opte aussi pour le « Sucre ». Marvin Marvelous Hagler est effondré, mais il s’efface en champion et avec beaucoup de dignité. Personne, et c’est finalement ça le plus triste, ne le rêvera sur un ring. Ray Sugar Leonard bascule la tête en arrière, lève les bras haut, grimpe sur la troisième corde dans un coin du ring et hurle sa joie. Il est plus riche d’un troisième titre de champion du monde, celui des moyens WBC, et de 11 millions de dollars. Mais surtout, a réussi l’exploit pugilistique de la décennie. Même si l’ordinateur de CNN n’est pas entièrement d’accord, Leonard a touché deux-cent cinquante-trois fois Hagler en douze rounds. Deux-cent quatre-vingt coups de l’ex-champion qui, à 33 ans, aura défendu victorieusement son titre à douze reprises pendant les sept années de son règne, ont trouvé leur cible. Ce choc fera couler beaucoup d’ancres et aujourd’hui encore, il y a les pros et antis…