Takam le dur, Yoka dans le dur

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Le 11 mars, Carlos Takam (40 v, 1 n, 7 d) a eu raison de son cadet, Tony Yoka (11 v, 2 d), laminé aux points (96-94, 96-94, 94-96), au Zénith de Paris. Un résultat dont le second risque d’avoir beaucoup de mal à se relever et qui, bien évidemment, fait les affaires du premier.

On était indubitablement dans un grand soir de boxe au Zénith de Paris. Tout simplement parce que la dramaturgie qui fait le sel de ce sport balayait les travées. Quasiment sept ans après son sacre de Rio et dix mois après un échec psychologiquement dévastateur infligé par Martin Bakole, le champion olympique jouait sans doute une (grande) partie de son avenir entre seize cordes même si, en la matière, il ne faut jurer de rien et se dire que l’on peut revenir de tout ou presque. Il n’empêche, un second échec de rang devant Carlos Takam eut fait plus que désordre dans une trajectoire censée être ascensionnelle. Même si la Conquête n’est plus vraiment à l’ordre jour, la reconquête, de crédibilité comme du public, elle, est bel et bien à l’ordre du jour.

En face lui, Carlos Takam, homme fort des plus respectés de la catégorie, tant pour la sobriété et la droiture de son comportement que pour sa vaillance et son abnégation sur le ring, avait lui aussi beaucoup à perdre. Car à quarante-deux printemps, après des défaites honorables contre des cadors (Anthony Joshua, Dereck Chisora, Arslanbek Makhmudov), il avait besoin d’un victoire de marque pour se relancer et prouver qu’il n’est pas que celui qu’il faut battre pour prétendre ensuite viser plus haut.

Enfin, ce duel franco-français était, pêle-mêle, une opposition de générations et de styles entre deux belligérants qui se connaissent, le plus jeune ayant longtemps servi de sparring-partner et appris le métier en se frottant, à la salle, à son aîné sous les auspices de Joseph Germain, à Noisy-Le-Grand.

Carlos Takam récitait sa partition avec une rigueur que son physique ne trahissait pas

Tony Yoka usait d’emblée de son bras avant télescopique tantôt en jab, tantôt en direct. C’était censé être l’arme fatale pour tenir en respect et à distance son contradicteur. Certes prévisible, la tactique fonctionnait mais pas systématiquement et de moins en moins longtemps. Car Carlos Takam parvenait à s’approcher et pas pour faire dans la dentelle. Ses crochets des deux mains trouvaient leur cible, derrière les gants, au niveau de l’oreille quand il ne prenait pas un malin plaisir à martyriser aussi les flancs du Francilien. C’était, au demeurant, le protégé de Joseph Germain qui prenait lentement mais sûrement l’avantage en étant le plus entreprenant, bien campé au centre de ce qui était pour lui, déjà, le carré magique.

L’Yvelinois, lui, tournait et remisait avec une certaine parcimonie. Surtout, on avait l’impression de le voir démuni, entre deux eaux tactiquement parlant. Conformément à la mue pugilistique qu’il avait annoncée, on sentait qu’il avait envie d’en découdre en puisant à satiété dans son éventail technique diversifié, le tout allié à sa vitesse de bras supérieure. Or, il n’y arrivait manifestement pas. Et quand, par défaut ou dépit, on ne sait, il se résolvait à rester en face pour accepter le bras de fer et montrer que lui aussi est un vrai poids lourd dans l’âme capable de faire front, il se faisait fréquemment crucifier, notamment par la droite circulaire du natif de Douala, laquelle commençait à faire des ravages dès le troisième opus.

Carlos Takam récitait sa partition avec une rigueur que son physique ne trahissait pas. Il avançant sans cesse, posément, sans jamais se précipiter, oscillant de la tête pour ne pas être aisément cadrable. Lui non plus n’était, de surcroît, pas manchot avec sa gauche qui lui permettait soit d’anticiper les répliques de Tony Yoka, soit d’initier un travail de feinte pour lui laisser le temps d’arriver à bon port, en corps à corps, où sa force physique faisait le reste.

Tony Yoka en quête de ce si beau et bon boxeur au talent précoce qu’il fut

Le protégé de Virgil Hunter, ouvert à l’arcade sourcilière gauche suite à un choc de têtes involontaire, se révélait certes vaillant et courageux jusqu’au bout mais c’était à peu près tout. Dans le seconde moitié du duel, la marche arrière, dans l’axe ou latéralement, était son principal modus operandi tandis que son adversaire ne faiblissait pas, marchant sur lui pour décocher des séries des deux mains dans ce qui prenait parfois les atours cruels d’un cavalier seul. Disons-le franchement, on sentait Tony Yoka quelque peu désemparé, ne sachant plus à quel saint pugilistique se vouer. Lui qui avait été si flamboyant dans les rangs amateurs était, quelque part, l’ombre de lui-même, en quête de ce si beau et bon boxeur au talent précoce qu’il fut.

Plus que la défaite, amplement logique, c’est là, à notre sens, la principale leçon d’un duel disputé dans un état d’esprit remarquable, sans provocation ni surenchère hors de propos. Au micro de Canal+, le vaincu versait dans l’humilité non feinte et réaffirmait son désir sincère de poursuivre sa carrière à son rythme, dans le labeur, en répétant patiemment ses gammes sans viser quoi que ce soit pour l’instant : « J’avais décidé de revenir avec un gros combat. Pour moi, l'important, c'est de donner de bons combats au public. Je pense qu'aujourd'hui, les spectateurs en ont profité. Félicitations à Carlos. Ce soir, il a été plus fort mais je vais repartir et travailler encore plus. » Le vainqueur, lui, confortait son succès aux poings par le panache et l’élégance des mots : « J'ai beaucoup travaillé pour ce combat, plus que face à Joshua. Je suis fan de Tony. Moi, je crois en lui. Tony, c'est le futur de la boxe en France. » On aimerait tant.

Alexandre Terrini

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