Le chemin de croix de Tony Yoka

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Le 14 mai, à l’AccorHotels Arena de Bercy, le champion olympique (11 v, 1 d) a encaissé la première défaite de sa carrière des poings de l’imperturbable Congolais Martin Bakole (18 v, 1 d), imperturbable vainqueur aux points (96-92, 95-93, 94-94). Un sérieux accroc dont il lui faudra se remettre.

Comme dans des starting-blocks en attendant le gong libérateur, le Français se ruait à l’assaut de son rival. C’était là un feu de paille et, il ne le savait pas encore, son chant du cygne. Quelques secondes plus tard, le mastodonte africain avait sévi ou plus exactement ses crochets à la pointe du menton qui brinquebalaient l’Yvelinois, contraint de poser un genou à terre pour tenter de stopper l’ouragan et l’hémorragie. Le sort en était jeté autant que la messe était - déjà - dite. Les contempteurs de tout poil suggèreront qu’il est facile de l’écrire après la bataille. Hélas, trois fois hélas, non. On ne voyait pas comment l’élève de Virgil Hunter aurait les moyens de se sortir de l’étau tant tout lui manquait pour exploiter ce qui forge habituellement les qualités qu’on lui connaît : son allonge, sa technique, son infatigable bras avant et tutti quanti.

Une à deux fois en bas, trois ou à quatre fois en haut…

La deuxième reprise était celle de survie, la tête tout juste hors de l’eau. Cependant, l’on sentait le visiteur du soir en capacité de faire replonger à tout moment le Frenchie dans des profondeurs abyssales de souffrance. Il ne s’en priva au demeurant pas. L’écart de poids - 125 kilos contre 109 - et de puissance entre l’un et l’autre était patent. Le Congolais avançait lentement mais sûrement et systématiquement sans se précipiter, tel un animal à sang froid désireux de faire durer le plaisir d’une agonie savamment programmée. Tous ses coups étaient lourds et ciblés. Sa tactique était simple : une à deux fois en bas, trois ou à quatre fois en haut, le plus souvent en privilégiant la circularité de deux mains mais également en uppercuts, histoire de varier le modus operandi. Martin Bacole soignait même les approches avec des jabs qui, eux aussi, étaient des missiles.

Le nez du Francilien ne tardait pas à en faire les frais et à saigner. On se doutait que ses flancs martyrisés n’étaient pas non plus au mieux. Et que dans sa tête, la pagaille régnait à l’idée de ne pas pouvoir s’extraire d’un pareil guêpier. Parfois, il se rebiffait comme il le pouvait, c’est-à-dire en accélérant subitement. Et même s’il trouvait ponctuellement sa cible, il n’ébranlait nullement le natif de Kananga qui lui faisait ostensiblement signe de venir et de persévérer en tentant sa chance. Dans le cinquième, le Tricolore était une nouvelle fois touché. En effectuant un énième pas de retrait, sa cheville vrilla et le déséquilibra. L’arbitre considéra que la cause devait primer sur l’effet et le compta de nouveau, au son grand dam de l’intéressé.

« Il est temps de retourner travailler et de peut-être changer certaines choses »

Campé au centre du ring, certain de sa force physique nettement supérieure, Martin Bakole distribuait à satiété et le claquement de chacun de ses coups sonnait dans Bercy comme un supplice supplémentaire infligé au protégé de Canal+. Lequel, et c’était là le pire, donnait le sentiment d’être désespérément sans solution sur le plan tactique. Jamais il ne cherchait à combiner et à enchaîner. Sans doute par peur de s’exposer en restant dans la zone de frappe de son opposant. Jamais non plus il était en mesure de déployer ses longs segments ni de faire parler sa vitesse gestuelle tant il était systématiquement acculé en défense, tournant dans un sens puis dans l’autre. Mais Martin Bacole parvenait aisément à lui couper la route et ses gauches dévastatrices faisaient alors les ravages redoutés.

Même dans le septième round, lorsque ce dernier semblait chercher un second souffle, quelque peu émoussé qu’il était physiquement après sa débauche d’efforts, le local n’en profitait pas. Non seulement ses initiatives n’inquiétaient pas le moins du monde son contradicteur mais il continuait à se faire crucifier en contre par des cross. Convaincu de l’emporter sur les bulletins des juges, le sparring-partner attitré de Tyson Fury et consorts gérait en père peinard la suite et la fin des évènements, assénant quelques parpaings pour ne pas cesser de marquer avec maîtrise son territoire. Le courage admirable de Tony Yoka valait qu’il finît debout. Bien maigre mais méritoire consolation. Sur le ring, la voix chevrotante - on le comprend -, le vaincu admettait qu’il était tombé face à plus fort avant de suggérer qu’il « est temps de retourner travailler et de peut-être changer certaines choses ». A trente ans, en aura-t-il suffisamment envie ?

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